
Notre lecture de ce livre est publiée en deux parties. Voici la première.
Avec ses « Mémoires, 1958-2024« , un livre de 463 pages publié par les Editions Stock, Didier Lestrade s’est fait l’auteur d’une parole d’une sincérité rare et forte, avec une autobiographie d’une précision romanesque, picturale. Parce que Didier Lestrade n’est pas une personnalité des médias actuels – un de ces people auxquels les chaînes de télévision et les radios font régulièrement appel, pour servir de pot de fleurs qui meuble le vide, afin de les faire jouer, leur demander leur avis sur tout, etc, il n’est pas socialement très connu en France, mais il l’est de nombre de citoyens, pour son travail, son engagement politique. En effet, journaliste dans plusieurs titres de presse, il a été un des fondateurs d’Act Up-Paris, une association dont les adhérents diffusaient des informations d’intérêt général sur le Sida, la prévention du Sida et des maladies sexuellement transmissibles. C’est que Didier Lestrade est un homme qui aura aimé d’autres hommes – et c’est aussi ce dont ses Mémoires entendent parler. Une telle autobiographie, ambitieuse, d’un tel homme, gay, devrait être la lecture de nombre de citoyens, notamment ni gays ni lesbiennes, afin de mieux comprendre ces hommes, et ces femmes, et ce alors que l’homophobie, est, en droit, proscrite, et, selon les propos, les actes, condamnable à des degrés divers – pour des poursuites réelles qui, comme pour les viols, sont très inférieures à la réalité des propos et des actes, une homophobie qui a contribué au suicide d’une enseignante (Caroline Grandjean), harcelée par un corbeau, pas soutenue, réellement, ni dans sa commune, ni par la mairie, ni par son employeur…, une homophobie accompagnée d’une diffamation publique classique contre les gays et lesbiennes, avec l’accusation de « pédophilie », et ce bien qu’il soit avéré que la pédocriminalité dominante est le fait de personnes « hétérosexuelles ». Il est souvent répété qu’il faut « combattre l’ignorance » et « les préjugés », et ces Mémoires sont le moyen de connaître un homme gay.
Mais avant d’aller plus loin dans la présentation de ce livre, il faut d’abord préciser comment l’être et la vie des personnes des gays, lesbiennes, sont ici, perçus, compris, par l’auteur de ce blog, qui lui, n’est pas gay. Ayant grandi dans une France explicitement homophobe, que cela soit exprimé par des caricatures, supposées énoncées « pour rire », « sans méchanceté », ou taiseuse sur le sujet, l’auteur de ce blog n’a pas ressenti, dans sa famille, de préjugés particuliers sur les personnes concernées, notamment parce qu’il n’en était pas question, ou quand cela pouvait être évoqué, l’était rapidement et sans propos graves. Il y avait plutôt une indifférence à. En devenant adulte, la vie, forcément faite de rencontres avec des inconnu(e)s, a ainsi fait découvrir des personnes, hommes, femmes, « hétéro », gays, lesbiennes, remarquables, intéressantes, passionnantes, ou médiocres, « bêtes et méchantes », et, rarement, pire encore, en faisant comprendre donc que la manière dont ces personnes vivaient, dans leurs relations personnelles, intimes, n’induisait, à priori, aucune qualité sociale, aucune vertu ni aucun vice. Bref, qu’à une personne qui fait remarquer à une autre qu’un tiers est comme ceci ou comme cela, la réponse logique qui s’impose est : « et alors » ! Si la diversité est un fait humain majeur, structurel, il y a cette diversité entre les personnes, qui ne font pas de mal aux autres, et les autres, et, à l’intérieur des groupes identifiés par telle préférence amoureuse/érotique, il y a encore cette diversité – par exemple, pour les hommes gays des années 80, 90, 2000, il y a un Didier Lestrade, et un Guillaume Dustan, et bien qu’ils soient tous les deux gays, ils ne le furent pas de la même manière.
Mais alors…, pourquoi en parler sur ce site, à propos du « racisme social » ? De l’Histoire de ces personnes ayant une préférence pour les personnes de même sexe, il y a un avant et un après : l’avant, c’est le monde antique, et ce de manière universelle, par exemple, avec des Grecs anciens pour lesquels il n’y a pas d’homosexualité, mais un érotisme divers, pour lesquels les actes sensuels entre hommes ne sont pas un sujet, de focalisation, d’obsession, de haine. Et il y a l’après : le texte biblique, la montée en puissance de la focalisation, dans le Christianisme, sur et contre ces personnes, avec une haine devenue explicite, « législations », avec et après l’Inquisition. Les fausses « législations libérales » ont prolongé ces préjugés, cette haine, et, en France, il a fallu attendre les années 80, donc, très récemment, pour constater le début de la fin de ces législations, y compris par, d’apparents, renversements – apparents. Mais pour combien de temps ? Définitivement ou non ? Les Etats-Unis actuels démontrent qu’il est possible d’avoir, en même temps, pour l’instant, une homophobie d’Etat, et des citoyens, des organisations, qui incarnent et défendent les personnes, gays, lesbiennes. En France, les lois condamnent, interdisent, mais comme pour le racisme, les propos sociaux quotidiens sont infestés par l’expression homophobe. Pendant plusieurs siècles, ces hommes et femmes ont été discriminés, parfois, agressés, parfois, assassinés, souvent moqués, caricaturés, insultés, et, hélas, cela n’est pas fini. Et ce parce que des personnes qui ne sont ni gays ni lesbiennes, prétendent, elles, du seul fait de ne pas être…, être des personnes bien. Ce serait « l’identité automatique » : comme avec les racistes qui leur suffit d’être « français », blanc, de culture chrétienne, pour être des personnes bien, il en irait de même de ces homophobes, obsédés par la sexualité de ces personnes. Donc, et c’est ce que raconte Didier Lestrade dans son livre, ce sentiment, ce désir, pour des personnes de même sexe, n’est pas choisi, il s’est imposé, et heureusement que ce sentiment et ce désir, entre des personnes, hommes et femmes, sont un sentiment et un désir, et pas, seulement, principalement, un instinct animal – si nous entendons être, bien entendu, plus que des animaux.
Né dans l’Algérie colonisée, « française », sa famille (les Lestrade ont des racines dans le Lot, et selon son ADN, Didier est français, italien, celte) a traversé la Méditerranée pour continuer sa vie. L’évocation de l’Algérie, des Algériens, est l’occasion pour l’auteur de préciser que, devenu adulte, il a compris, et il soutient, l’indépendance de l’Algérie, et, au-delà, ce qu’il garde de cette matrice culturelle. A une époque où il n’existe ni ordinateurs, ni téléphones portables, le devenir adulte d’un jeune homme qui se sait être gay depuis les débuts de sa conscience n’est pas aisé, au point même qu’il tente de se suicider, et, heureusement, échoue (tentatives de suicides et suicides sont, en proportion, en plus grande nombre chez les, jeunes, gays et lesbiennes). Après un double échec pour le baccalauréat, il part de la maison familiale pour mener sa vie, intègre rapidement une communauté de gays. En 40 pages, Didier Lestrade narre, à Paris, ses premiers sentiments amoureux, évoque ses premiers amoureux, mais, au terme de ces 40 pages, le Sida est déjà là : c’est qu’il a fait partie d’une génération qui, à peine adulte, a dû subir un virus mortel, dont la principale voie d’infection était, avec un transfert sanguin, les relations sexuelles. Et, en 1987, il apprend qu’il est séropositif. Dans deux ans, cela fera 40 ans que Didier Lestrade vit, « avec » le SIDA, et là encore, peu savent, mesurent, ce que cela représente. L’histoire du virus, responsable du SIDA, est également très méconnue (pourquoi les médias officiels auront si peu pour cette connaissance en 40 ans ?) : le virus, d’origine simien (singe), est, et il s’agit de certitudes, apparu dès le début du 20ème siècle, et s’est diffusé « à bas bruit », pendant plusieurs décennies, dans le centre de l’Afrique. A la fin des années 60, la famille Noe (norvégienne) en décède. Un adolescent américain (Missouri), sans doute victime de sa propre famille, pédocriminelle, décède de, en 1969. Le virus est désigné de plusieurs façons, avant de l’être par VIH, responsable du Sida, syndrome d’immunodéficience acquise. Il n’est donc pas un virus des personnes homosexuelles, causées par, mais nombre de personnes homosexuelles en auront été affectées, comme Didier Lestrade, qui fait partie des personnes atteintes par, mais qui, heureusement, n’en sont pas décédées, alors que, à ses débuts, dans les années 80, la mortalité fut très élevée. Evidemment, ce n’est pas la même chose de vivre avant l’apparition du virus, que de vivre après. En plus de 40 ans de présence et d’action de ce virus, nous n’avons jamais entendu des gays mettre en cause les hétéros pour leur avoir transmis ce virus – ce qui, pourtant, s’est passé. Et pourquoi ? Parce qu’aucun gay n’est assez stupide pour considérer que la diffusion épidémique de ce virus fut volontaire, mais, comme pour tous les virus et maladies graves, vivent de l’humain, s’imposent à lui, jusqu’à ce que nous parvenions à nous en protéger. Faudrait-il aujourd’hui insulter les agriculteurs, paysans, qui vivent avec des animaux domestiqués, comme les cochons, pour la grippe espagnole, apparue dans des porcheries du Texas, comme les vaches, pour la variole ?! Qui pouvait savoir qu’une telle proximité pouvait faciliter une telle apparition ? La fraternité induit l’empathie : qu’une personne soit « hétéro » ou « homo », le fait qu’elle ait été affectée par le Sida, justifie tristesse et soutien, inconditionnellement.
Les pages qui suivent ce souvenir de l’apparition sur sa séropositivité sont émouvantes : entre Paris et New-York, alors qu’il rencontre des hommes qu’il va aimer et dont il va être aimé, qu’il va connaître un amour sincère et fort, alors qu’il devient amis avec quelques autres, le virus et le syndrome vont, petit à petit, faire disparaître, Jim, Luc, et tant d’autres, avant qu’il commence à avoir des relations amoureuses avec des « séronégatifs », dont son « dernier amour », un journaliste parisien depuis devenu très connu, un de ses plus célèbres amis, Jimmy Somerville. A ces/ses amis, Didier Lestrade consacre même un sous-chapitre, intitulé, « Remerciements ». Il peut prononcer ces mots, y compris parce qu’il dit pouvoir se regarder dans une glace, et nous n’avons aucune raison de ne pas le croire, quand il dit : « Je ne peux pas prendre de plaisir aux dépens de quiconque. Je préfère ne pas avoir de sexe, plutôt que d’utiliser quelqu’un« . Et avec les années 90, où le Sida sévissait encore fortement tout comme il tuait tout autant, il a préféré faire des « sacrifices », plutôt que d’aller à des facilités dangereuses pour lui comme pour d’éventuels partenaires. Cette éthique – ne pas causer de tort aux autres – explique son rôle dans l’activisme avec Act-Up Paris, une presse spécialisée, ou générale.