Fonction publique (par exemple, Education Nationale) : ce qui est interdit dans le droit privé, l’Etat se l’autorise, en allongeant la durée d’employabilité en CDD, de manière… indéterminée.

Le droit du travail en France est largement un droit favorable aux employeurs, aux entreprises, et à l’Etat – avec des limites. Le CNE/CPE de Monsieur Villepin entendait faire sauter une des protections juridiques des travailleurs du « privé », en autorisant une période d’essai égale à la durée du CDD, long, soit, pour deux ans. Chaque travailleur aurait vécu, chaque jour, avec une épée de Damoclès : un mot désagréable pour l’employeur, et, à la fin de la journée, 8 mois après avoir commencé, le dit travailleur aurait pu être viré, manu militari, selon les caprices de. La grande mobilisation des jeunes, lycéens et étudiants, contre ce retour aux journaliers du Moyen-âge, a contraint Jacques Chirac à une pirouette, valider la loi de son premier ministre et interdire son application. Dans le droit privé, les CDD ne peuvent pas être cumulés au-delà d’un certain nombre, avant que l’entreprise qui emploie ne soit obligée, par le droit, de transformer le CDD en CDI, même si elle peut commencer d’emblée par un CDI. L’Etat français, lui, s’autorise à ne pas être contraint par cette même obligation, et ce que nous appelons les « contractuels » en sont la vivante démonstration. En 2012, une loi, dite Sauvadet, est venue, en apparence, limiter les abus étatiques. Dans ses articles, il est précisé :

« Le droit défini au premier alinéa du présent article est subordonné à une durée de services publics effectifs, accomplis auprès du même département ministériel, de la même autorité publique ou du même établissement public, au moins égale à six années au cours des huit années précédant la publication de la présente loi.
Toutefois, pour les agents âgés d’au moins cinquante-cinq ans à cette même date, la durée requise est réduite à trois années au moins de services publics effectifs accomplis au cours des quatre années précédant la même date de publication« .

Dans le privé, la mesure ne s’établit pas en année, mais par le nombre de CDD. En principe, une période travaillée en continue ne peut se faire avec le seul moyen des CDD, au-delà d’un certain nombre (inférieur à 10). En apparence, la loi Sauvadet est calée sur un même critère : si on y regarde de loin. En effet, puisque la référence se fait en année, et non en nombre de CDD, la durée totale à atteindre, pour le basculement du CDD en CDI, 6 ans, peut correspondre, dans le privé, à un plus grand nombre de CDD. Si, dans la fonction publique, les CDD sont d’une durée d’une année, le nombre est donc, à minima, de 6. Mais pour cela, il y a des conditions : les 6 années doivent se tenir sur une même durée, ou sur une durée maximale de 8 ans, et s’il y a des césures entre deux CDD, elles ne peuvent dépasser 4 mois. Par exemple, dans l’Education Nationale, des rectorats ont employé des professeurs pendant 5 ans et quelques mois, et, dans la dernière année, ont imposé un contrat d’une durée moindre que 12 mois, et ainsi, à l’approche des 6 ans, le salarié concerné n’ayant pas atteint les 6 années de recrutement effectif ne s’est pas vu proposer un CDI, et la coupure a produit un effacement de ses années, comme si elles n’avaient pas existé. Pour atteindre les 6 années au total, de nouveaux CDD doivent lui être proposés pour atteindre ce total, et si c’est le cas, il aura travaillé pendant 11 ans et quelques mois avant de bénéficier d’un CDI. En droit privé, cette situation est, en principe, en général, impossible, interdite. Pour d’autres, ils ont dépassé ces 6 ans, mais, sans que les années d’emploi se suivent, avec des coupures supérieures de 4 mois. Ainsi, un salarié peut être, EN PERMANENCE, en CDD. Prévue pour une durée limitée, la loi SAUVADET continue de servir de référence pour les actes administratifs étatiques.

La titularisation dans la fonction publique, APRES l’ANNEE DE STAGE qui est venue CONDITIONNER l’accès à ce statut, produit l’inverse : immédiatement, le travailleur est EN PERMANENCE en CDI, et il l’est dans un statut plus « protégé » que dans le droit privé. Depuis plusieurs années, l’Etat promeut les CDD, afin de ne pas recruter des « fonctionnaires ». Les « contractuels » sont recrutés : certains font un seul CDD, ou un petit nombre, et vont voir ailleurs, pour, précisément, bénéficier d’un droit plus protecteur, d’une meilleure rémunération, et il y a les autres. Dans « la gestion des ressources humaines », des responsables hiérarchiques jouent les uns contre les autres, les contractuels contre les titulaires, les titulaires et les contractuels, et, de cette opposition, des titulaires et des contractuels tombent dans le coup. Les réseaux sociaux donnent écho à ces oppositions. Récemment, le cas d’un professeur contractuel, agresseur de certains de ses collègues, a donné lieu à des généralisations sur et contre des contractuels. Les recrutements, « speed dating », ont également été instrumentalisés pour caricaturer les contractuels. Si ces généralisations existent, elles sont rares, parce que la majorité des uns et des autres sont assez intelligents pour ne pas tomber dans le panneau. Malheureusement, le compte X des Stylos Rouges a publié, samedi 13 septembre, une de ses caricatures – depuis, supprimée (reproduite ci-dessous).

Quand la FNEC FP-FO fait connaître son soutien aux travailleurs contractuels, pas réemployés à cette rentrée, demande/exige ce réemploi, le compte des Stylos Rouges traduit le propos de cette Fédération, comme une démarche en faveur de la suppression du statut de la Fonction Publique.

La FNEC FP-FO a répondu clairement, sérieusement. Au motif que l’accès au statut de la fonction publique est contrôlé par les concours, des titulaires n’hésitent pas à nier le travail et l’expérience de contractuels, en faisant référence au droit public, comme s’il était satisfaisant. La réflexion publique sur les concours est encore tabou. Trop croient qu’il s’agisse d’une méthode universelle : ce n’est pas le cas. Un des angles morts de cette pratique des concours réside dans la sélection sociale implicite, cachée, par le fait de favoriser certains et de défavoriser d’autres, sur des critères qui ne relèvent pas des connaissances et des compétences intellectuelles. Selon les administrations, les pratiques étatiques varient. Dans l’Education Nationale, la rentrée scolaire 2025/2026 se caractérise par un chômage de masse des contractuels, ce dont atteste les groupes de professeurs sur les réseaux sociaux : un énième plan social, 20 ans après celui de François Fillon.

L’Etat est donc l’inventeur et l’usager du CDDI, le contrat à durée déterminée-indéterminée…

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