Nous le savons : il n’existe à ce jour aucun précédent de retrait d’un Prix Nobel de la Paix, et les statuts de la Fondation Nobel n’envisagent pas juridiquement cette possibilité, l’attribution du prix étant réputée irrévocable, conformément à la volonté d’Alfred Nobel et à l’article 10 du règlement de la Fondation. Si nul article des statuts du Comité Nobel ne prévoit explicitement la procédure d’annulation d’un prix, les institutions humaines sont susceptibles d’erreurs et l’histoire regorge d’exemples de distinctions remises en cause lorsque la réalité des faits contredit les valeurs revendiquées. L’article 10 des statuts limite tout recours ou appel, mais le Comité conserve la responsabilité morale, devant la communauté internationale, d’assurer la conformité entre l’esprit du prix et l’exemplarité du comportement des lauréats, au moins a posteriori sur le plan du débat éthique.
Au sein de la tradition juridique internationale, la doctrine du contrôle de la conformité aux intentions du fondateur permet, même en l’absence de procédure formelle, de corriger les contresens flagrants affectant l’honneur et la crédibilité d’une institution. La liberté d’expression protège ici la démarche citoyenne et institutionnelle visant à solliciter une telle clarification, tout comme le devoir de vigilance démocratique. La probabilité que nous ne soyons ni entendus ni écoutés, est élevée : mais ce n’est pas parce que l’institution du Nobel pourra faire comme si, que nous n’avons pas, nous, à dire ce que nous ressentons et pensons. Et c’est pourquoi…
Pétition pour la réévaluation et le retrait symbolique du Prix Nobel de la Paix 2025 accordé à María Corina Machado
Aux membres du Comité Nobel norvégien,
À l’opinion publique internationale,
Aux membres de la communauté universitaire, associative et citoyenne,
Nous, soussignés, prenons l’initiative de cette pétition pour demander solennellement au Comité Nobel norvégien une réévaluation immédiate et, à défaut d’annulation formelle, le retrait public et symbolique de la reconnaissance accordée en 2025 à María Corina Machado au titre du Prix Nobel de la Paix 2025. En effet, ce prix, selon la volonté d’Alfred Nobel (testament de 1895), vise à « récompenser la personnalité qui aura le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à l’abolition ou à la réduction des armées permanentes, et à l’organisation de congrès de la paix ». Son attribution impose donc des exigences éthiques et humanistes non négociables à la fois à la sélection du lauréat et à l’image internationale de ce dernier. Evidemment, nous avons déjà dû assister à un éloge public, mondial, pour un homme qui, lui non plus, ne méritait pas ce prix, quand, en 2009, votre institution avait déjà décidé d’attribuer un tel prix à un tel homme qui avait et qui a eu après, beaucoup de sang sur les mains – Monsieur Barack Obama.
Nous le disons clairement : Madame Machado est absolument indigne d’un tel titre. En effet, chacun peut vérifier que ce furent ses déclarations, prises de position publiques, ses actions, pour constater aisément à quel point ils violent l’esprit même du prix. En effet, elle n’a pas hésité à :
- exprimer son soutien à des factions qui ont recouru à la violence comme instrument politique
- se prononcer en faveur de puissances ou d’ingérences extérieures en contradiction avec la souveraineté et le respect du droit international, mettant en cause les principes de paix et d’autodétermination proclamés par les organismes internationaux et implicitement exigés par le Comité Nobel lui-même. Mme Machado a publiquement déclaré compter sur l’appui du président américain Donald Trump pour la « libération » du Venezuela, affirmant sur X : « Aujourd’hui plus que jamais, nous comptons sur le président Trump, le peuple des États-Unis, les peuples d’Amérique latine et les nations démocratiques du monde comme nos principaux alliés pour obtenir la liberté et la démocratie ». De tels propos, loin de favoriser la paix et le dialogue, valident une logique d’affrontement géopolitique et de dépendance à l’intervention étrangère, aux dépens de la souveraineté nationale – principe cardinale reconnu par l’ONU et par le Comité Nobel lui-même. Mme Machado qualifie Donald Trump de « visionnaire » et de « courageux » pour son soutien à son opposition face à Nicolás Maduro. Ce rapprochement politique accentue la division internationale, s’éloignant de la recherche du compromis, des négociations multilatérales et du respect des principes pacifiques du Nobel. Elle a a refusé de condamner explicitement les sanctions internationales qui frappent la population vénézuélienne, tout en soutenant publiquement leur maintien en estimant que « la pression extérieure est nécessaire pour contraindre le régime ».
- exprimer des discours dans lesquels elle a fait connaître son refus de reconnaître l’importance du compromis démocratique en exacerbant les tensions internes et contribuent à fragiliser la cohésion sociale et la possibilité d’un règlement pacifique durable des différends au Venezuela.
- à formaliser, en 2020, via son parti, Vente Venezuela, un pacte de coopération avec le Likoud, parti israélien dirigé par Benjamin Netanyahou, visant à un « partenariat opérationnel » sur les questions de stratégie, sécurité et géopolitique, pour « rapprocher les peuples d’Israël et du Venezuela et promouvoir les valeurs occidentales ». Evidemment, se rapprocher des Palestiniens n’est pas dans ses intentions ni ses principes.
- à écrire, en 2019, sur X (anciennement Twitter) : « Le combat du Venezuela est le combat d’Israël », affichant ainsi une proximité idéologique avec la politique menée par Netanyahou et son gouvernement dans le contexte du conflit israélo-palestinien. Machado a aussi déclaré que, si elle accédait au pouvoir, elle rétablirait immédiatement les relations diplomatiques avec Israël, rompues en 2009 lors de l’opération militaire israélienne « Plomb durci » à Gaza. Depuis 2023, les actions militaires israéliennes, décidées par le gouvernement israélien, ont provoqué ce que des institutions internationales sérieuses, ONU, CIJ, CPI, crédibles, ont évalué comme des pratiques criminelles, d’intention/de réalisation, génocidaire.
Nous affirmons ici, en tant que citoyens du monde mais aussi en tant qu’humanistes attachés à la paix, que l’attribution du Prix Nobel de la Paix doit demeurer exemplaire. Un lauréat dont les choix sont en contradiction flagrante avec ces valeurs affaiblit non seulement l’autorité morale du Comité Nobel, mais envoie également un signal désastreux à toutes les sociétés aspirant à la sortie pacifique des conflits. Ces propos et actes, vérifiables et publics, créent une contradiction manifeste avec la vocation du Prix Nobel de la Paix, qui distingue le dépassement du conflit par la négociation, le respect de tous, et la construction institutionnelle de sociétés pluralistes et apaisées. En revendiquant le soutien d’États tiers pour renverser un pouvoir en place, au lieu de privilégier les voies légalistes et diplomatiques, Mme Machado fragilise la paix régionale et ouvre la porte à une spirale potentielle de violence et d’ingérence. Ce type de comportement expose le Comité Nobel à un risque d’instrumentalisation politique de son prix et suscite un malaise croissant parmi les défenseurs de la paix internationale.
Alors que la population mondiale compte 8 milliards d’êtres humains, des personnes remarquées et remarquables méritaient ce prix : Madame Francesca Albanese (Italie), rapporteure spéciale de l’ONU pour la Cisjordanie et Gaza, a maintenu un engagement, clair, cohérent et courageux, en dénonçant les destructions et violations des droits humains dans la bande de Gaza, et ce sans aucune ambiguïté; Issa Amro (Palestine) et Jeff Halper (Israël/États-Unis), militants de longue date pour la défense des droits des Palestiniens face à l’occupation et les violences, sont connus pour leur travail acharné en faveur de la paix et des droits humains. La liste n’est pas exhaustive. Mme Machado, vénézuélienne, opposante aux dirigeants actuels du Venezuela, souhaite une intervention militaire américaine, envisagée par les dirigeants américains (cf. l’envoi d’éléments militaires américains à proximité du Venezuela), une guerre, qui provoquerait nécessairement un grand nombre de victimes civiles et militaires, avec des conséquences imprévisibles mais dont certaines seraient évidemment dangereuses pour ce pays, cette région et pour notre Humanité.
En signant cette pétition, chacun affirme son attachement à une conception exigeante de la paix, fondée non sur l’opportunisme ou la confusion, mais sur l’exemplarité, la responsabilité et la justice. Nous invitons chaque citoyen et chaque institution attachés à l’intégrité du Nobel à exiger, par cette pétition, une clarification et un retrait symbolique du prix attribué à Mme Machado. Il s’agit d’affirmer que la paix ne peut se construire sur l’exclusion, le clivage ni la glorification de l’ingérence, mais sur le respect intransigeant des principes du dialogue, de la souveraineté et du compromis démocratique. Signer cette pétition, c’est défendre la mémoire des grands artisans de paix et rappeler au Comité Nobel son devoir de vigilance et de cohérence. L’attribution du Prix Nobel de la Paix ne devrait plus être le fait d’un tout petit groupe d’hommes. Pour garder et même développer son sens, les consultations en amont, les votes, devraient associées toutes les nations, tous les peuples. Chaque pays devrait pouvoir choisir une personne à recommander, et aurait une seule voix. Après cette phase initiale, les peuples devraient être associés, avec des modalités pour pondérer les tailles démographiques, afin qu’il y ait une véritable égalité dans cette procédure. Attribuer un tel prix n’est pas un jeu, devrait être un honneur international, devrait être incontestable : en décidant de l’attribuer à Mme Machado, l’institution Nobel a porté une atteinte lourde, peut-être définitive, à ce prix.
Madame Machado, artisan de paix ? Non. Ce texte le rappelle avec rigueur : l’histoire ne se falsifie pas au profit des intérêts géopolitiques. Le Prix Nobel ne doit pas devenir un outil de blanchiment.
Le quotidien en ligne, « Les Jours » https://lesjours.fr/

a publié ce texte de François Meurisse
François Meurisse
Directeur adjoint de la rédaction – journaliste éditeur
🇻🇪 María Corina Machado, Nobel pour être vraie
À
l’annonce de la lauréate du prix Nobel de la paix vendredi dernier, on a été comme Donald Trump : furieux. Pas à cause de l’ingratitude du comité norvégien envers celui qui a mis fin en neuf mois à deux-cent-cinquante-sept guerres (selon la police), mais du fait de son inconséquence. Car le dernier mot qu’on aurait accolé à María Corina Machado, la récipiendaire vénézuélienne, est « paix ». Bien sûr, le prix Nobel n’a jamais été le « Grosbisou award » mais disons-le comme c’est, María Corina Machado est d’une extrême droite banale en Amérique du Sud : violente, raciste, classiste, antidémocratique, ultralibérale, indéfectiblement liée aux milieux d’affaires et prête à tout pour faire (re)passer son pays dans le giron de Washington.
María Corina Machado, je l’ai vue personnellement à l’œuvre à Caracas entre 2003 et 2007. À l’époque, elle tentait de faire oublier sa signature, le 12 avril 2002, au bas du décret qui dissolvait l’Assemblée nationale et actait le coup d’État (éphémère) contre Hugo Chávez – elle assure qu’elle n’était au palais présidentiel que pour saluer la femme du nouveau « président par interim », le patron des patrons Pedro Carmona (pire excuse). Avec son organisation Súmate, c’est elle qui organise ensuite un « référendum révocatoire » contre Chávez – perdu – et s’impose comme une figure radicale de l’opposition (affligeante). Traduction : malgré son élection comme députée en 2010, elle préférera toujours aux urnes la violence dans la rue, l’abstention, la violence dans la rue, les sanctions économiques américaines, la violence dans la rue ou une « intervention » extérieure. Ou alors la violence dans la rue. Et ce n’est qu’une fois toutes ces stratégies épuisées qu’elle se pliera véritablement au jeu électoral. Manque de chance, pendant ce temps, le pouvoir a basculé de brutal-progressiste en 1998 à brutal-arbitraire puis autoritaire puis autocratique… puis tyrannique et criminel avec l’élection de Nicolás Maduro, successeur de Chávez, mort en 2013.
En octobre 2023, alors que María Corina Machado venait de remporter la primaire de l’opposition en vue de la présidentielle 2024, le politiste Thomas Posado déclarait sur France Culture : « Sa victoire est le signe de l’échec des dirigeants de l’opposition et de Nicolás Maduro. » Car cette libérale pur sucre – sonsurnom de « dame de fer » est autant dû à son père, magnat de la sidérurgie vénézuélienne, qu’à son adoration pour Margaret Thatcher – a transgressé un tabou pour tout l’échiquier politique vénézuélien : elle souhaite la privatisation de PDVSA, le géant national du pétrole qui, malgré l’impéritie du pouvoir, demeure le plus gros pourvoyeur de devises du pays. Et à qui voudrait-elle vendre la poule aux œufs d’or, ainsi que les autres entreprises publiques ? Suivez mon regard et passez le Río Grande…
Depuis la présidentielle de 2024, à laquelle elle a été empêchée de participer et remportée officiellement par Maduro malgré la non-publication des résultats, María Corina Machado vit dans la clandestinité et fait preuve d’un courage évident. On ne lui enlèvera pas ça. Tout comme elle jouit d’une popularité certaine. Mais que la population vénézuélienne en soit arrivée, face à la détresse économique (plus d’un quart des habitants ont quitté le pays), à plébisciter cette amie de Benyamin Netanyahou, Javier Milei et Jair Bolsonaro, cela m’attriste profondément. Et puis il y a Trump. Qui stigmatise et pourchasse les Latinos. Et que María Corina Machado a remercié vendredi dernier. Et dont elle se refuse à condamner les assassinats de présumés narcotrafiquants vénézuéliens en mer des Caraïbes. Et qui a admis ce jeudi avoir autorisé des actions clandestines de la CIA au Venezuela. Qu’il se console finalement, une petite part du prix Nobel lui revient 🤮.